Le blog de lucette desvignes

          J'étais tellement pleine, oui, remplie, de la sidération (c'est le mot de Fillon quand la malchance s'est abattue sur lui et qu'il a compris que sa carrière était fichue) que m'avait causée pareille nouvelle; que mon blog de vendredi atteignait, me semble-t-il, une intensité dans l' ahurissement et l'indignation qui lui donnait le caractère d'un coup de poignard. Le malencontreux délai entre cette fureur jaillie et sa retransmission ce lundi après remplacement de mon écran lui a fait perdre beaucoup de sa verdeur, du moins à mes yeux : tant pis, je vous livre les choses comme je les ai ressenties. Et comment peut-on bien ressentir les choses quand on apprend qu'au procès d'une poignée de dealers convaincus reconnus en pleine ascension dans la profession, la maladie d'un juge donc son absence justifie, non point qu'on ajourne la session (ce que commanderait la plus élémentaire logique), mais bien et officiellement la remise en liberté de ces malfrats qu'on fait sortir blancs comme neige du tribunal? J'ai cru que c'était une farce de 1er avril que la télé nous réservait pour compenser les nouvelles noires quotidiennes - mais non! Même que, devant l'ahurissement général une haut gradée de la justice a vaillamment tenté de faire comprendre à ce pauvre peuple d'imbéciles que nous sommes que le traitement du dossier ayant duré déjà de longs mois, il était impossible de le transmettre à un autre juge qui viendrait alors siéger sans s'être pénétré de l'affaire et qui, par conséquent, ne saurait pas faire jouer toutes les indulgences qu'on réserve chez nous au jugement des malfrats, violeurs ayant souffert de traumatismes dans leur enfance, criminels dont les instincts auraient dû  connaître davantage d'affection dans leurs jeunes années etc.etc. Donc, pour être bien sûr qu'aucun juge de remplacement ne saurait être assez indulgent pour ces malheureux, on choisit carrément de les relâcher dans la nature. Il y a eu là un raisonnement logique officiel qui vous donne envie de vous exiler au Yoknomatopa, où que ça puisse se trouver!

         Ah! mes belins-belines,faut regarder les choses en face dans la vie. Et quand ça tire rayon budget familial, y faut regarder de près sur quoi on va pouvoir rogner : les livres, si des fois on en achète (mais pas sur les magazines, y a des si belles photos!), les bouquets de fleuristes alors qu'y a de si jolies fleurs dans les prés, le chewing gum (que c'est tout de même pas une nourriture), enfin voyez, quoi : tout ce dont on peut se passer peut passer à la trappe, ce qui veut pas dire que la décision soit facile mais que voulez-vous? faut ce qu'y faut. Moi je comprends parfaitement ce que M. et Mme Macron se posent comme problèmes, même que ça les embarrasse pour trouver une solution d'équilibre. Est-ce qu'ils pouvaient supprimer cette vaisselle de l'Elysée, qui va être si belle si unique si regardée quand on aura des invités de tous les coins du monde? (et faire bisquer les têtes couronnées ou les dirigeants  en turban ou en kéffieh, c'est pas plus mal au passage). Et du même coup ça donne du travail aux ouvriers vaisselliers, par le fait ça diminue le chômage,  y a rien de perdu. Et leur piscine de vacance? Là aussi faut bien voir le problème : depuis Sarko qu'elle était en projet, c'est pas honteux qu'on doive attendre si longtemps pour que les choses soient réalisées? Je sais pas quel modèle Bobonne va choisir, j'en ai vu deux de drôlement jolis, l'un en pierres de taille qui fait champêtre, pas sophistiqué du tout, l'autre tout bordé sur les quatre côtés par un plancher en acajou, ça c'est la classe! On verra bien - et me dites pas que ces deux choses-là c'est pas de l'indispensable. Bien sûr, faut raquer quand on vous présente la facture, et ça va faire mal, tout ça. Mais quand on domine la situation de haut,  pas de souci! M. Macron vient de dire à Bobonne qu'il va supprimer cent mille fonctionnaires, vous croyez pas que ceux-là coûtaient encore bien plus que cette vaisselle et cette piscine? Faut jamais juger sans être allé au fond des choses.

         Du plus loin que je me souvienne, l'emblème Nestlé symbolisait la tendresse, le souci de l'autre, la protection. Nestlé, le petit nid... J'ai souvenance de cette icône, mais en vérité il y a bien des lunes que l'image a disparu des produits vendus par la firme. A la tête de cette multinationale tentaculaire, on n'ose peut-être plus être assez cynique pour brandir pareil symbole de tendre pureté au vu de ce que la société est capable de faire sans en avoir l'air. Il y a bien longtemps que je n'achète plus de produits Nestlé malgré sans doute leur qualité (et j'ai toujours sur la langue le goût original du Nescao de mes jours de convalescence, je ne l'ai jamais retrouvé nulle part ailleurs). Au temps du Biafra, des grandes famines du Sahel, je n'étais pas la seule à ne pas avoir apprécié que l'intervention de générosité de Nestlé auprès des bébés dénutris et déshydratés se soit traduite par des envois massifs de lait en poudre, pour l'utilisation duquel manquait partout l'eau potable. Deux ou trois activités de ce genre ont caché l'image du petit nid et révélé la férocité d'une firme en rapport vec l'alimentaire, càd le marché par lequel on est malheureusement obligé de passer. Voilà que l'exploitation de l'eau  que commercialise par millions de bouteilles ladite société se poursuit impavidement alors même que la nappe alimentant la source de Vittel (eau minérale mais aussi eau de la ville) menace d'être à sec. Pas question pour la firme d'opérer du changement : un contrat est un contrat, l'exploitation par bouteilles du secteur privé continuera même si la ville doit organiser pour ses habitants un service decamions-citernes distribuant au porte à porte... Ah! mes belins-belines, que c'est beau, ces multinationales qui font leur production à partir du sang des autres! Tâchez de m'en dégoter une qui n'ait pas du sang sur les mains et signalez-la moi, je serai ravie de faire sa connaissance.

         Si j'ai bien compris (mais je ne suis ni dans le secret des dieux ni dans celui des instances dirigeantes qui, en divers domaines, fomentent des choses qu'elles vous assènent tout à coup sur le nez (c'est fait, signé et paraphé, trop tard pour protester, méfiez-vous donc une autre fois et prenez-vous-y convenablement à l'avance) si j'ai bien compris, on va nous imposer les services religieux se rapportant au héros à la guitare. On nous avait bien sûr annoncé à son de trompe et d'orgues que tous les premiers lundis du mois  il y aurait messe à la Madeleine à la mémoire de Johnny,  mais on n'en avait tout de même pas fait un élément de spectacle imposé sur le petit écran. L'anniversaire qu'il n'a pas atteint et qu'on lui offre maintenant avec faste donne lieu à tout le carnaval habituel. Bobonne et son jeune époux y assistent-ils? Je n'ai pas le coeur d'écouter les commentaires du jour de LCI, mais vu la récurrence sérieuse et appliquée avec laquelle le sujet Hallyday est traité, je pense qu'au moins une table ronde ou un duel à quatre lui aura été réservé. Le reste du temps étant consacré au football, je n'ai pas encore eu le temps de m'appesantir sur l'air lugubre des bleus descendant d'avion pour gagner le bus qui les emmènera à leur terrain d'entraînement dans les bois, ni en sens inverse de constater s'ils ont repris le sourire pour se rendre sur le terrain de leur premier affrontement. Il n'y a pas beaucoup de paillettes scintillant sur cet événement sportif, il sert seulement par chez nous de prétexte pour qu'on mette la pédale douce sur les événements internes, ceux qui nous concernent directement - prions, diraient les Américains, pour que pendant ce temps où le peuple se gorge de coca cola et de chips devant l'écran, donc pendant qu'il n'est pas sur ses gardes, les ordonnances ou décrets-lois de toute espèce ne les accablent pas en sourdine : l'école, la laïcité, la justice, la burka, le nouveau bac, ou encore une rallonge non encore prévue dans les bienfaits en faveur des pleins aux as, cela en fait des terrains où une décision vite faite ùal faite peut encore nous tomber sur les bretelles.

            Car c'est nous qui l'avons gagné dans une pochette surprise, ce meneur de l'Europe qui ensuite s'attaquera au monde. Il fulmine comme Jupiter tonnant maître de la foudre, lui dont la campagne de moralisation si appuyée n'a pas réussi à se faire respecter par ses proches. Mais cela ne l'empêche pas de se réserver le droit de haranguer les autres. "Vous avez vu cette Italie? Vous l'avez vu faire avec ces pauvres migrants? Elle leur refuse le débarquement, n 'est-ce  pas une honte? Que vont-ils devenir, hein? ces pauvres gens qui ont tout perdu, qui se sont exposés dans leur vie et leur souffrance, qui n'ont plus ni passé ni présent ni avenir? Où donc vont-ils aller?" Tout le monde a entendu sa voix vibrante d'indignation. devant l'abominable égoïsme d'autrui.  Mais elle aurait pu se faire compatissante et annoncer que, puisque déjà la France a montré une honteuse frilosité pour accueillir les marées de migrants dont certaines s'adressaient spécifiquement à elle,  puisque déjà aux yeux de la planète la France faisait l'autruche, puisque déjà les calculs de répartition des aides avaient semblé ne jamais être inscrits à l'ordre du jour de la nation, le meneur de l'Europe allait donner le bon exemple, ouvrir large les portes du ^pays, engager les timides à se décider : "Venez chez nous, c'est le pays de l'accueil, nous vous recevrons, nous vous attendons"... Oh ouatte! comme on dit en Bresse, rien de tout cela - si simple, si direct - n'a été prononcé. Et je pourrais croire que j'ai mal entendu, moi, avec mes déficiences, mais la rumeur nationale de tous côtés m'amène à penser que rien n'en a été dit. Les voix qui s'élèvent, compatissantes, indignées, désolées de voir que l'Espagne a pris la relève puisque la France se taisait ignominieusement, sont fortes et claires, elles refusent qu'on les fasse taire. Mais si l'Aquarius se trouvait être un élément propice au soutien de l'extrême droite non encore sollicité? De l'avis général c'est de toute façon un mauvais calcul, mais si c'est l'occasion utilisable selon les stratégies politiques et électorales d'en haut? L'expression douloureuse de la honte d'une nation, c'est à la nation qu'on en laisse le soin.: elle s'en acquitte comme elle le peut, humiliée, tête basse et la rage au coeur.