J'avais trouvé extraordinaire, il y a quelques années, qu'un opéré de l'oreille ait pu s'extasier sur le miracle de son ouïe retrouvée au point de contacter les autres opérés pour les inciter à organiser avec eux des louanges concrètes et appuyées au chirurgien sorcier. Après trois semaines de nouvelles prothèses, je le comprends mieux. Moi-même j'ai dû redécouvrir le chant des merles et des tourterelles de mon jardin, m'extasier devant les nuances des roucoulements spécifiques de mes chats, m'étonner du bruit de mes pantoufles sur les tapis, ou encore et surtout réapprendre où en était l'histoire de mes divers groupes d'Eastenders, enfin revenus sur mon petit écran (ça c'est l'aboutissement d'une longue lutte avec SFR) et à portée de mes oreilles (ça c'est le miracle des nouvelles aides auditives). J'entends le léger tic tac de la petite pendule de la cuisine, le ronflement sempiternel du réfrigérateur, le grincement du portillon du jardin qu'ouvre et referme le facteur, la venue progressivement bourdonnante du camion des poubelles puis, quand ils sont à ma porte, les tintements de quincaillerie des ustensiles soulevés, cognés, remis en place approximative. Le chuintement de l'eau dans ma casserole pour le thé accompagne gentiment le sifflement du gaz - ne vais-je pas bientôt me lasser de ces bruits perçus par tout le monde et sur la réalité desquels je m'appesantis sottement? Je ferais mieux de préparer mes boules Quiès contre le bruit des travaux des nouveaux voisins qui ont entrepris de tout casser dans la maison acquise et de tout reconstruire : l'intensité et la variété des bétonneuses, scies, forets, tronçonneuses ou marteaux piqueurs, au même titre que mon imprimante quand elle se déchaîne, réclament le recours aux moyens extrêmes. Mais comment protéger mon odorat des cuistances de barbecue dont lesdits voisins, entre deux phases de démolition à l'intérieur, viennent empuantir copieusement l'atmosphère grâce à cet autre miracle de technique emprunté au Far West?