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5 février 2009 4 05 /02 /février /2009 09:27
Ne me dites pas que personne ne comprend "manu militari", ou "in extremis" : depuis si longtemps ces locutions latines ont été intégrées et profondément assimilées à l'expression française qu'on ne les considère plus comme des immigrées. Je ne sais d'où vient cet attrait, voire cet attachement, à la forme d'origine de tant de formules. Ce n'est certainement pas le fait de la transmission : au cours des siècles, elles se seraient perdues ou déformées, presque au point sans doute d'en être méconnaissables. Mais non. Elles tranchent sur le discours, oral ou écrit tout aussi bien, elles ont leur petite autonomie tranquille,  elles oeuvrent comme de petits îlots d'antiquité qui n'arrivent même pas à passer pour demandeurs d'asile, elles annoncent leur couleur sans broncher, sans paraître accepter la moindre concession. Take me or leave me : c'est à prendre ou à laisser. Il y en a comme cela des dizaines que les pages roses du Petit Larousse enregistrent et déroulent pieusement. La plupart du temps, on les emploie sans même y faire attention.Je vous assure que "in fine" ou "mutatis mutandis" (ce si bel ablatif absolu à décarcasser  avant appréciation de sens : les choses devant être changées ayant été changées, autrement dit les changements nécessaires une fois faits) arrivent facilement dans une phrase - et je suis même bien certaine qu'elles sont employées sans état d'âme par des gens qui n'ont jamais fait de latin. Est-ce que justement la messe en latin ne comportait pas pour les foules une part de mystère, donc peut-être de ferveur savamment entretenue, que les versions en vernaculaire ont délaissée? Je reste un peu interdite devant les belles et rondes formules latines si pieusement conservées dans le droit de notre temps. Même en droit commercial, pourtant si prompt à suivre l'actualité : ainsi "dies a quo non computatur in termine", le jour de départ n'est pas compté dans le compte, règle pratiquée sans exception. Il suffit de dire "dies a quo", la messe est dite. Ou encore, cette formule passée dans le droit civil sans rien perdre de son panache : "Nemo auditur propriam turpitudinem allegans" (nul n'est écouté s'il met en avant sa propre honte, donc sa responsabilité dans la faute). Les lancer dans un débat leur donne, à ces formules latines, un caractère impérial qu'aucune traduction française, fût-elle la plus affutée, ne pourrait jamais revêtir.
   Mais ça peut agacer, et même prodigieusement. Se sentir rejeté dans une conversation par ces poignées de syllabes sur lesquelles on bute comme sur des écueils est humiliant. J'ai même vu une critique américaine complètement étranglée par cet os en travers du gosier, comme si elle n'avait jamais été confrontée avec pareils engins : "in extremis!", "ne varietur!" (elle aurait pourtant dû connaître les problèmes des éditions), "sine qua non!" - elle se sentait véritablement agressée par ce qu'elle prenait pour un étalage de prétention alors que c'était tout simplement une utilisation presque automatique des ressources de la langue. Je trouve au contraire, moi, qu'elles ont bien du mérite, ces petites expressions inentamées par la contagion (par exemple "nil novi sub sole" vous a tout de même plus d'allure que "rien de nouveau sous le soleil, non?); elles conservent leur quant à soi, et je pense que les  comparer à des écueils relève d'une juste vision : elles émergent dans la phrase en redressant juste le bout du nez, le reste de la phrase coule autour d'elles, elles peuvent accrocher au passage mais sans grand dommage, car elles ne représentent qu'une restriction, qu'un complément, qu'une modification dont la signification principale pourrait à la rigueur se passer.  Ainsi "coram populo", devant le peuple : c'est l'actualité la plus aiguë, puisque le Président  s'explique devant le peuple ce soir et que son ministre des affaires étrangères va bien y être contraint lui aussi (à s'expliquer devant le monde). Le peuple, oui, "in fine", finalement, il existe. Puisque je vous le dis, mes belins-belines! Dois-je vous le dire en latin pour que vous me croyiez? Allons, à demain. Bonne nuit à vous et à vos minets, surtout celui de la voisine s'il n'y a personne chez lui.
                                                                                                                 Lucette Desvignes.
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commentaires

A
Ne perdons pas courage : Benoît XVI va bien un jour nous remettre la messe en latin. Et vous ne serez plus excommuniée pour vouloir continuer à glisser ces jolies expressions des pages roses ( sont-elles toujours roses ? ) dans votre conversation. <br /> Allons, sursum corda !
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