Mon adolescence se déroulant tout entière dans la guerre puis l’Occupation, la seule consigne, le seul mot d’ordre – le seul espoir – c’était De Gaulle, le ciment secret entre condisciples bien informées, la radio anglaise tous les soirs dans l’imprudence, la croix de Lorraine en émail bleu gendarme dans mon corsage au bout d’une chaîne approximative … et un bel enthousiasme prolongé quelques années. Après, certes, les soubresauts politiques, la renaissance active des partis disparus, les difficultés de la Quatrième puis de la Cinquième, entraînèrent la variété des positions sur l’échiquier des formules de gouvernement, si bien que, malgré la tendresse pour lui que j’ai souvent dû tenir cachée, on ne peut guère me taxer de Gaullisme. Et cependant, alors qu’il était plutôt avare d’une gestuelle toujours un peu rigide, je ne peux me rappeler sans une pointe d’émotion ses accents convaincus quand il nous amenait à prendre conscience de notre chance – Paris meurtrie, Paris martyrisée, mais Paris libérée : tout le monde doit entendre encore ces mots jaillis du cœur retentir dans l’oreille du souvenir… Il y avait dans ces déclarations personnelles si rares une noblesse, un amour, une distinction qui allaient bien au-delà des paroles. Quand aujourd’hui on nous clame, avec d’éventuelles répétitions du truc, « Je vous aime » et même, si je ne m’abuse, « Je vous aime farouchement », bien sûr il y en a qui applaudissent, mais il y en a aussi qui haussent les épaules et d’autres qui rigolent.