Je n’ai rien à vous enseigner aujourd’hui, mes belins-belines, sauf que le chagrin de la perte d’un vieil et cher ami ne se partage pas. Chacun a son poids écrasant de peine sur le cœur, chacun est conscient qu’autour de soi et tout près de soi il y a d’autres proches qui souffrent, dont le chagrin écrase le cœur, étouffe les larmes, brouille la conscience. Chacun devine et sait en profondeur que la douleur est là, intense, au sein de cette effervescence d’émotions, que chacun la porte en soi, que l’ensemble de ces douleurs crée un réseau de chagrin englobant tout le monde. Mais chacun demeure avec son poids de peine, avec sa douleur tout entière. On peut s’illusionner sur ce cercle de souffrance en résonance, on peut s’imaginer que le partage de la douleur permet un allègement
du fardeau qui vous délabre. Mais non, on le croit seulement. Privée de la présence qu’une vie entière de compagnonnage avait transformée en un double soudé, la tendresse mutilée subit un arrachement auquel aucune force de sympathie ne peut rien. C’est seulement après le plus intense de la douleur que l’apaisement pourra venir, lentement, sans jamais cicatrises la blessure : alors on pourra s’ouvrir à la chaleur de l’amitié, percevoir cette vague de douceur qui a dés le début enveloppé l’être souffrant, accepter l’offrande d’une douleur semblable. Mais il faudra du temps, et l’arrachement se subit dans le désespoir sans qu’on puisse imaginer que l’apaisement pourra venir quelque jour de l’amour des autres.