Entre un fond d’œil (avec jets d’air piquants comme une giboulée d’avril) et une instillation de gouttes pour dilater, puis enfin un ultime examen qu’il s’agit d’obtenir aussi satisfaisant que possible, vu les circonstances, j’utilise au mieux le temps des phases de repos pour poursuivre mon analyse des héros tragiques – pour laquelle, j’avoue, je n’ai reçu ni approbations enthousiastes ni non plus protestations irritées, ce qui m’a permis de garder le cap envisagé. Oh je m’imagine bien, mes belins-belines, que depuis votre sortie du secondaire et sauf exceptions exceptionnelles la différence de conception entre les héros cornéliens et les héros raciniens doit relever pour vous d’un pesage d’œufs de mouche sur des balances en toiles d’araignées, selon la formule que Crébillon fils appliquait à mon cher Marivaux. Et, en fait, l’ignorance de ce résultat des courses n’a jamais ni empêché le monde de tourner, ni même gêné la carrière de quiconque. Tout de même, je ne vois pas pourquoi on se gausserait d’une occasion de remettre à leur place les personnages dont les examens à coups de serpe des collèges et lycées ont ôté tout intérêt, d’autant qu’ils font partie de notre patrimoine littéraire, si chevrotant et mal parti qu’il soit. Le tragique est traditionnellement assimilé à la chute d’une statue sur un individu qui passait par là justement : c’est dire qu’il faut analyser ses raisons d’être présent au moment de la chute de la statue mais aussi admettre l’écrasement de l’individu, qu’un accident (sur les raisons duquel il convient de s’interroger) a tout simplement rayé de la surface de la terre. Donc par définition le tragique doit comporter la mort, voire l’écrasement de l’individu. Le Titus de Racine s’arrachant à sa Bérénice est potentiellement mort, tandis que le Polyeucte de Corneille qui a recherché le martyre a certes perdu la vie mais est tout le contraire de terrassé. Qu’on ajoute Horace ou le Cid, ou Hippolyte victime de Phèdre, et on a un beau petit lot à étudier, comme on disait au XVIIIème… Si le cœur vous en dit…